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Les déchets complexes de la « villa radioactive »

Placée en liquidation judiciaire en 2000, l’installation Isotopchim, située à Ganagobie dans les Alpes-de-Haute-Provence, produisait des molécules marquées au carbone 14 pour l’industrie pharmaceutique. Depuis plus de vingt ans, l’Andra assure l’assainissement de ce site laissé à l’abandon par un entrepreneur peu scrupuleux. En mars dernier, l’envoi au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) des déchets chimiques radioactifs issus de l’ancien laboratoire devait marquer la fin d’un long processus. Mais un rebondissement de dernière minute retarde encore le démantèlement de la « villa radioactive » de Ganagobie. 

Responsable du pôle d'assainissement des sites pollués par la radioactivité de l’Andra, Nicolas Benoit se souvient encore de sa découverte de la « villa radioactive », il y a douze ans : « Tout avait été abandonné : nous étions face à plusieurs milliers de contenants, du flacon à la cuve, sans étiquette, renfermant des liquides, des poudres, des pâtes, tous plus ou moins radioactifs. ». Autant de produits qu’il a fallu, une fois le site sécurisé, analyser chimiquement et radiologiquement. « Cela a été un travail de longue haleine, d’autant que la caractérisation du carbone 14, le principal élément radioactif présent, nécessitait une analyse en laboratoire », souligne Nicolas Benoit.

Caractérisation
Caractérisation des déchets radioactifs
Caractérisation
Caractérisation des déchets radioactifs
Caractérisation
Caractérisation des déchets radioactifs

Du gramme au m3

Dès 2016, près de 3 000 flacons renfermant des solides sont évacués dans un laboratoire du CEA, à Saclay, où, gramme par gramme, leur contenu est pyrolisé (les matériaux sont traités par calcination par chauffage à haute température, dans un environnement contrôlé). Près de 70 m3 de déchets divers (matériels de laboratoire, paillasses, hottes...) ont progressivement pris la route des centres de l’Andra, tandis que près de la moitié des produits chimiques liquides, bien identifiés et faiblement radioactifs, a été incinérée à l’usine Centraco de Cyclife France (filiale d’EDF), dans le Gard. Près de 1 m3 de produits liquides présentant une radioactivité conséquente restait encore à prendre en charge.

Enlèvement de colis déchets radioactifs d'Isotopchim
Enlèvement de colis de déchets radioactifs d'Isotopchim (mars 2023)
Enlèvement de colis déchets radioactifs d'Isotopchim
Enlèvement de colis de déchets radioactifs d'Isotopchim (mars 2023)
Enlèvement de colis déchets radioactifs d'Isotopchim
Enlèvement de colis de déchets radioactifs d'Isotopchim (mars 2023)
Enlèvement de colis déchets radioactifs d'Isotopchim
Enlèvement de colis de déchets radioactifs d'Isotopchim (mars 2023)
Enlèvement de colis déchets radioactifs d'Isotopchim
Enlèvement de colis de déchets radioactifs d'Isotopchim (mars 2023)

Les petits chimistes

« C’est un volume peu important, mais il représente une très grande diversité de produits, cumulant des risques chimiques et radiologiques. Nous avons travaillé avec le Cires qui a l’habitude de recevoir des effluents liquides marqués par des radioéléments et issus de filières non électronucléaires, afin de trouver une solution de gestion et d’acheminement », indique Nicolas Benoit. 

Des chimistes se sont attachés à neutraliser les produits, augmentant le pH des acides, réduisant l’instabilité des solvants, l’explosivité ou la nature corrosive de telle ou telle substance. Un laboratoire a été installé sur place, pour les caractériser radiologiquement et chimiquement. Avec le soutien du Cires, des solutions d’assemblage et de conditionnement permettant le transport routier et facilitant le traitement dans l’Aube ont été identifiées et mises en œuvre. 

réception des colis au Cires
Réception des colis de déchets radioactifs au Cires (mars 2023)
Réception des colis de déchets radioactifs au Cires (mars 2023)
Réception des colis de déchets radioactifs au Cires (mars 2023)

Une mauvaise surprise de plus

En juillet 2022, 83 bonbonnes de 30 litres de liquides, et 38 fûts de 120 litres de déchets induits (anciens conditionnements, équipements de protection…) étaient prêts à prendre la route pour le Cires. « En mars 2023, avant de les embarquer, nous avons fait procéder au contrôle radiologique des colis. Nous avons détecté, sur les parois extérieures de bonbonnes de 30 litres, un niveau de contamination supérieur aux seuils. Seuls les fûts ont pris la route pour être triés au Cires en vue de leur traitement : par compactage, puis stockage ou incinération chez Cyclife », raconte le responsable du pôle Sites pollués. « Sous sa forme gazeuse, le carbone 14 a sans doute pénétré le polyéthylène des bonbonnes. Nous sommes en train de revoir notre copie, avec le Cires, pour trouver une nouvelle solution d’emballage », explique-t-il. De quoi reporter le transfert des 83 bonbonnes à fin 2024.

Mais celles-ci ne sont pas les seuls déchets radioactifs qui demeurent à Ganagobie. « Nous avons aussi identifié 35 à 40 kilos de déchets très radioactifs, de moyenne activité à vie longue (MA-VL). Il s’agit de silices contaminées par des solvants : un type de déchets assez unique en son genre pour lequel il faut élaborer une solution sur mesure. Tant que nous n’aurons pas enlevé ces produits, nous ne pourrons pas procéder au démantèlement de la "villa radioactive" », déplore Nicolas Benoit.

« Les échanges avec la population locale et des élus locaux nous motivent pour relever les défis et faire avancer le projet. Ils comprennent ce qui nous retarde et sont plutôt contents que l’Andra et l’État prenne en charge la dépollution du site pollué et abandonné par un industriel indélicat », relève-t-il. 

 

Pour en savoir plus : lire notre article complet sur l'histoire de l'assainissement d'Isotopchim