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L’Andra, sculptrice de vocations ?

Ilona Treve est étudiante au lycée Charles-de-Gaulle à Chaumont (région Grand-Est), l’un des 8 lycées de France à proposer un bac ST2DA, ou Arts appliqués. Fille d’un chauffeur de bus scolaire et d’une professionnelle de l’enfance, rien ne la prédestine à s’orienter vers des études artistiques. Et pourtant…

En 2020, Ilona, alors pré-adolescente, mène sa vie entre ses études au collège de Brienne-le-Château et ses trois chevaux, dont elle s’occupe régulièrement et qu’elle monte dès qu’elle en a l’occasion. Confinée lors de l’épidémie, elle trouve un nouveau passetemps avec le dessin. D’abord un simple hobbie, les arts plastiques suscitent un réel intérêt lorsqu’elle reprend les cours. Les projets impulsés par son professeur éveillent progressivement sa créativité, et l’un d’entre eux va particulièrement attirer son attention. Nous sommes en 2023, et la classe d’Ilona a rendez-vous pour une visite singulière : la découverte du Centre de stockage de l’Aube de l’Andra qui accueille les déchets radioactifs. Celle-ci s’inscrit dans le cadre d’un nouveau projet artistique et technologique, qui comptera pour la note du Brevet en fin d’année.

Ilona Treve et son projet Le Gardien d'acier
Une aventure pédagogique

Lancé en 2022 par l’Agence, le projet scolaire « Mémoire et identité d’un site » s’adresse aux collégiens de 3e afin de les sensibiliser et surtout les mobiliser autour des enjeux de mémoire. En effet, le programme Mémoire de l’Andra vise à préserver et transmettre la mémoire des stockages de déchets radioactifs aux générations futures. C’est ainsi qu’Ilona et ses camarades rejoignent l’aventure : comment transmettre un message compréhensible dans plusieurs centaines d’années, et laisser une trace de notre héritage industriel ? Le défi est de taille et pousse la jeune élève à la réflexion. “Au départ j’étais perdue !, confie-t-elle. J’étais même en retard par rapport aux autres élèves de ma classe, il m’a fallu plusieurs mois de cogitation avant que mon idée émerge et se matérialise. Je ne voyais pas comment m’adresser aux générations futures sans texte et je voulais que mon projet soit esthétique, qu’on ait envie de venir le voir.” Une réflexion longue, mais qui paiera par la suite…

Le site aubois de l’Andra est cerné par la forêt, ce qui n’a pas échappé à Ilona qui souhaite que son projet "s’intègre parfaitement dans l’environnement existant". Elle a compris lors de la visite avec sa classe que le centre, une fois fermé, serait recouvert et végétalisé. "Je voulais donc une œuvre inspirée à la fois de la nature en y intégrant l’esprit industriel", détaille l’artiste en herbe. Elle choisit donc un arbre comme symbole de nature et le sculpte avec du fil de fer pour rappeler le "côté métallique et sécurisé de l’Andra", argumente-t-elle. A son arbre d’acier, elle associe des racines sortantes inspirées du temple d’Angkor au Cambodge, qui "entoureront le site comme pour le protéger". Entre les racines, la collégienne dispose plusieurs pierres aux couleurs jaune et noir afin que l’ensemble, vu du ciel, forme le symbole de la radioactivité. Consciencieuse, elle recrée également la couverture qui recouvrira l’ouvrage avec de la mousse florale et intègre plusieurs personnages qu’elle a modelés en résine "pour donner une échelle et rappeler que le site accueillait des visiteurs". A taille réelle, elle imagine son arbre dénommé « le Gardien d’acier » à une hauteur équivalente à celle de la tour Eiffel. Après plusieurs mois de conception, sa maquette séduit son professeur mais aussi les professionnels de l’Andra à l’initiative du projet, qui choisissent de scanner son œuvre et celles d’autres élèves en 3D afin d’être conservées dans une exposition numérique. Fière, Ilona s’étonne « qu’une telle entreprise soit intéressée par mon projet ! ». Ce qu’elle ignore encore à ce moment-là, c’est que ce projet marque aussi le début d’un nouveau chapitre pour elle.

La science au service de l’art


L’appétence d’Ilona pour l’art n’a pas échappé à son professeur, qui décèle un potentiel chez la jeune élève. « Suite à mon projet pour l’Andra, il m’a conseillée de m’orienter vers des études d’arts appliqués et d’intégrer le lycée CDG à Chaumont. Malgré les inquiétudes de ma famille quant aux débouchés, j’ai suivi son conseil et j’ai déposé une candidature dans ce lycée, à Reims et à Paris ». Acceptée dans les trois établissements, la jeune femme opte pour le lycée de sa région, « pour rester proche de sa famille et pouvoir s’occuper de ses animaux ».
En classe de seconde, elle s’engage dans l’option « Création culture et design », qu’elle présentera lors des épreuves du baccalauréat. Afin d’évaluer sa créativité, il lui est demandé de présenter un projet réalisé précédemment. Sans hésiter, Ilona choisit de soumettre son « gardien d’acier » imaginé dans le cadre du projet scolaire sur la mémoire. Le corps professoral est enthousiaste ! Et son projet lui vaut d’être orientée dans la section Design d’espace, articulée autour des maquettes, de l’architecture, du design d’intérieur, etc.
Lors de son année de 1ère, qu’elle vient d’achever, son professeur principal l’inscrit avec 6 autres élèves au concours Rotary en catégorie « Essai individuel ». Son challenge ? Présenter un projet artistique et le défendre auprès de personnes non-amatrices d’art. Une fois n’est pas coutume, Ilona présente son arbre d’acier et atteint la seconde place ! Lorsqu’on lui demande si elle a modifié celui-ci depuis ses années collège, elle répond confiante « Non je le présente tel quel ; d’abord parce que je ne vois pas ce que je pourrais changer, ensuite parce qu’il est très bien accueilli chaque fois que je le présente ». A l’aube de son entrée en Terminale, Ilona a confirmé son attrait pour le design d’espace et se passionne pour la création de maquettes. Déjà très éclairée quant à son avenir, elle indique vouloir poursuivre ses études supérieures à l’étranger, en Asie précisément : « j’aimerais voyager à travers ce continent pour en découvrir les spécificités architecturales, avant de m’installer en Corée. J’ai toujours été attirée par ce pays, une référence en matière de design ».

« L’expérience du projet Andra m’a fait mûrir et a guidé mes choix, jamais je n’aurai pensé m’orienter en arts appliqués. Et je ne pensais pas que mon « Gardien d’acier » me suivrait au long de mes études et prendrait une telle ampleur ! »

En effet, Ilona participera certainement de nouveau à un concours d’art l’année prochaine, et n’exclut pas de présenter à nouveau son projet pour l’Andra. Quant aux potentiels artistes en devenir, elle insiste : « il n’y a pas de mauvaise idée, même si elles ne sont pas toutes réalisables. Nous avons tous un cerveau différent, il faut se lancer ! ».