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Gestion des déchets radioactifs de très faible activité : 5 points à retenir

Ce sont les moins radioactifs, mais ceux dont le volume est le plus important :  les déchets de très faible activité (TFA). Ils disposent aujourd’hui d’une filière de gestion robuste, le stockage au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), à laquelle pourraient s’ajouter à l’avenir de nouvelles solutions complémentaires, notamment pour répondre aux enjeux des futurs démantèlements d’installations nucléaires. Le point sur les déchets TFA et les enjeux de leur gestion.

Déchets TFA : de quoi parle-t-on ?

Conditionnement de déchets TFA dans des "big-bags".

À première vue et sans instrument de mesure, rien ne distingue les déchets radioactifs de très faible activité des déchets classiques. Dans les colis de déchets TFA se trouvent par exemple des sacs remplis de morceaux de béton, de tiges métalliques, des gants ou des fioles en plastique. Ils sont produits lors du fonctionnement, de la maintenance ou du démantèlement des centrales nucléaires, liés à l’activité d’industries ou de laboratoires qui peuvent être amenées à utiliser des substances radioactives (chimie, métallurgie, etc.), ou encore issus de chantiers de dépollution et de réhabilitation de sites pollués par la radioactivité.

Leur apparence ne doit pas faire oublier que ces déchets sont radioactifs, même si leur niveau de radioactivité se situe à un niveau très faible. Il est en général inférieur à 100 becquerels par gramme(*), parfois même beaucoup moins, et pour une petite partie d’entre eux, leur qualification en déchets TFA est avant tout réglementaire.

(*) A titre de comparaison, le niveau de radioactivité des déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC), stockés sur le Centre de stockage de l’Aube, varie de quelques centaines à un million de becquerels par gramme.

 

Un principe de précaution fondateur

Vue aérienne du Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires).

Dans les années 1990, la France a fait le choix de considérer tous les déchets issus d’une zone réglementée d’une installation nucléaire comme susceptible d’être radioactif. « Cette décision vise à éviter tout risque de dissémination ou d’orientation vers une filière inappropriée de substances potentiellement radioactives qui auraient échappé aux contrôles », explique Virginie Wasselin, cheffe du service stratégie filières à l’Andra. Dès lors qu’un déchet est produit dans une telle zone, il est considéré comme radioactif – même si des contrôles radiologiques ne permettent pas de déceler de radioactivité – et doit être pris en charge de manière spécifique.

« Cette décision ne sort pas de nulle part. Elle répondait à plusieurs enjeux, poursuit Virginie Wasselin. Certains déchets TFA étaient stockés dans des installations (Centre de stockage de la Manche puis de l’Aube) qui offraient des niveaux de protection disproportionnés par rapport aux risques que présentent réellement les TFA. Il ne faut pas négliger non plus le coût pour les producteurs de déchets. Dans l’attente d’une autre solution, certains d’entre eux les entreposaient sur leur site, mais des problèmes de place ont commencé à se faire sentir. L’histoire des TFA n’est pas non plus exempte de mauvaises pratiques qui ont poussé le législateur à prendre les devants. » 

Ce principe de précaution a donné naissance à la catégorie de déchets TFA et, en 2003, à un centre de stockage dédié dans l’Aube.

À cette époque, la France faisait figure d’exception mondiale. Elle était le seul pays à posséder un centre de stockage spécifique pour cette catégorie de déchets. Dans les autres pays, la majorité de ces déchets sont considérés et gérés comme des déchets conventionnels, du fait de leur très faible niveau de radioactivité. Depuis, seule l’Espagne a également fait ce choix de gestion. 

 

Un centre de stockage adapté et performant

Stockage de fûts métalliques dans une alvéole du Cires.

Implanté sur les communes de Morvilliers et de La Chaise, à proximité du Centre de stockage de l’Aube, le Centre de stockage pour les déchets de très faible activité (CSTFA), appelé aujourd’hui le Cires, est mis en service en août 2003. D'une capacité de stockage autorisée de 650 000 m3, ce centre avait une durée d'exploitation estimée à environ 25 ans à l’origine.

Les déchets TFA sont préparés sur les sites de production et conditionnés, pour la plupart, dans des caissons métalliques ou dans des grands sacs en tissu plastifié appelés « big-bags ». Certains déchets de grande dimension ne font l'objet d'aucun conditionnement. Le niveau de radioactivité très faible des déchets TFA ne nécessite pas de confinement particulier au niveau du colis.

À leur arrivée sur le Cires, des contrôles sont effectués pour vérifier le niveau de radioactivité des conteneurs de transport et les caractéristiques des déchets ou colis de déchets.

Parallèlement à ces contrôles radiologiques, des investigations plus poussées sont réalisées sur un certain nombre de colis. Ces contrôles plus poussés peuvent être non destructifs (contrôles visuels, mesures du débit de dose, etc.) ou destructifs, pour un inventaire ou prélèvement de déchets.

Les colis de déchets TFA sont stockés dans des alvéoles de 176 m de longueur et 26 m de largeur, creusées dans l'argile à 8,50 m de profondeur. Le stockage s'effectue à l'abri des intempéries sous un toit monté sur rails.

Une fois remplie de déchets, l'alvéole est fermée par une couche de sable, une membrane en polyéthylène haute densité garantissant l'imperméabilité du stockage et par un géotextile de protection résistant aux rayonnements UV. Une couverture argileuse est ensuite placée sur les alvéoles pour assurer le confinement des déchets à long terme.

 

Anticiper les volumes à venir en optimisant le stockage

Selon l’Inventaire national des matières et des déchets radioactifs réalisé par l’Andra, 570 000 m3 de déchets TFA étaient stockés ou destinés à être pris en charge par l’Agence à fin 2019. Ils représentent environ 30 % de l’ensemble du volume des déchets radioactifs et 0,0001 % de l’ensemble de la radioactivité. 

Dans le même temps, l’arrêt des installations nucléaires françaises conduira à de nombreux démantèlements qui généreront des volumes significatifs de déchets radioactifs, majoritairement de très faible activité. Selon les scénarios liés à la politique énergétique française établis dans la dernière édition de l'Inventaire national, entre 2 100 000 m3 et 2 300 000 m3 de déchets TFA vont être produits à terme. « Le Cires ne suffira donc pas à absorber la totalité des futurs déchets TFA », indique Virginie Wasselin.

L’année dernière le Cires avait atteint environ 63 % des 650 000 m3 de sa capacité totale de stockage autorisée. En considérant les prévisions de livraisons de déchets TFA annoncées par les producteurs pour les années à venir, le centre devrait atteindre cette capacité totale à l’horizon 2028/2029.

Une première étape se présente donc pour assurer la continuité de la prise en charge : l’augmentation de capacité du Cires. C’est le projet Acaci (pour Augmentation de la capacité de stockage du Cires). L’objectif ? augmenter de 50 % la capacité de stockage autorisée des déchets TFA, sans faire évoluer la zone de stockage existante du site, et tout en conservant son niveau de sûreté. Tout au long de l’exploitation du Cires, les révisions de la conception des alvéoles et des dispositions de stockage ont en effet permit un gain de stockage de 56 % par rapport au concept initial. Ces optimisations permettraient aujourd’hui de prendre en charge 250 000 m3 à 280 000 m3 de déchets supplémentaires, soit au total plus de 900 000 m3 à superficie égale. 

Mais au regard des volumes de déchets TFA attendus, et compte tenu des perspectives de saturation du Cires, même avec le projet Acaci, il pourrait s’avérer opportun de réinterroger les modes de gestion de ces déchets et de voir comment ils pourraient être améliorés

De nouvelles solutions de gestion complémentaires à l’étude

La problématique des déchets TFA issus du démantèlement conduit à s’interroger sur la gestion globale de ces déchets : alors que 30 à 50 % d’entre eux ont un niveau de radioactivité nul ou extrêmement faible et ne présentent donc aucun enjeu de radioprotection, leur stockage systématique au Cires n’est-il pas disproportionné par rapport au risque réel ?

Par ailleurs, ce mode de gestion sur un centre dédié est-il le plus pertinent sur le plan global de la protection de l’environnement ? « Pour stocker ces déchets, il faut leur faire traverser une partie de la France alors qu’au regard de leur dangerosité nous pourrions, par exemple, les stocker au plus près de là où les installations sont démantelées, ou en revaloriser une partie », précise Virginie Wasselin.

Il faut également savoir qu’un site de stockage de déchets radioactifs constitue une ressource rare avec une mise en œuvre et un remplacement qui peuvent être complexes. Ne doivent-ils alors pas être réservés aux déchets dont le niveau de radioactivité le nécessite impérativement ?

Face à ces questionnements, l’Andra, l’État, les autorités compétentes (l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire [IRSN], l’Autorité de sûreté nucléaire [ASN]), les producteurs de déchets radioactifs et les laboratoires et organismes de recherche étudient collectivement des solutions de gestion complémentaires pour prendre en charge ces déchets de façon adaptée et proportionnée à leurs volumes et à leur dangerosité.

 

Des projets innovants

Dispositif de découpe de câble du projet Orcade.

Depuis 2014, dans le cadre du programme d’Investissements d’avenir, l’Andra soutient l’émergence de projets innovants pour optimiser, en amont du stockage, la gestion des déchets radioactifs issus du démantèlement des installations nucléaires. 29 projets ont été sélectionnés à l’issu d’un appel à projets lancé avec l’Agence national de la recherche (ANR) et sont accompagnés par l’Andra. Ils portent sur quatre thématiques : la caractérisation des déchets, leur tri et traitement, les nouveaux matériaux de conditionnement, et enfin un volet sciences sociales sur l’innovation et la société.

Le projet Orcade propose par exemple une solution pour pouvoir extraire et recycler en toute sécurité les matières valorisables des câbles électriques qui représentent environ 3 % des déchets de très faible activité issus du démantèlement. Le projet Cyber propose, lui, un principe qui consiste à séparer les différents composants des gravats de béton TFA afin de pouvoir les recycler. Cette technologie qui s’appuie sur un four micro-onde industriel adapté permet d’envisager la réutilisation des composants du béton en tant que matériau de remplissage des alvéoles de stockage ou pour constituer de nouveaux matériaux cimentaires.

Cette dynamique est amenée à se poursuivre à travers le plan d’investissement gouvernemental « France Relance ». Un appel à projets est notamment consacré à l’innovation en matière de gestion des déchets et matières radioactives.

 

Recyclage d’une partie des TFA : les déchets métalliques

Déchets métalliques TFA

Une autre piste consisterait à réduire le volume de déchets TFA à la source, via la valorisation et le recyclage d’une partie des déchets TFA, et plus spécifiquement les déchets métalliques.

Dans la filière conventionnelle, les métaux sont autant que possible recyclés et ne constituent pas de déchets à stocker. La question se pose de l’application de la même logique aux déchets métalliques issus d’installations nucléaires de base (INB) qui sont majoritaires parmi les déchets TFA et représente un volume total estimé à environ 800 000 m3. Une perspective qui nécessite de réfléchir à la mise en œuvre d’options de gestion spécifiques pour garantir que le recyclage de ces déchets n’entraîne pas de dissémination de radioactivité dans l’environnement.

Le recyclage des déchets métalliques TFA suppose à la fois une activité radiologique suffisamment faible des métaux pour pouvoir les utiliser sans qu’ils ne puissent avoir d’impact sanitaire pour les individus, travailleurs ou le public, et la capacité de contrôler cette absence de dangerosité. Si la fiabilité de contrôle n’est pas jugée suffisante, la mise en place d'une traçabilité des métaux recyclés pourrait être envisagée, notamment dans le cadre d’un recyclage dans le domaine nucléaire.

Le débat sur le recyclage des déchets métalliques ne porte ainsi pas tant sur leur dangerosité radiologique que sur les mécanismes de contrôle et de construction de la confiance que la société souhaite déployer pour ouvrir la voie à leur réutilisation et à leur recyclage. 

À la suite du débat public mené dans le cadre de la préparation de la cinquième édition du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), des perspectives d‘évolutions du cadre réglementaire applicable à la gestion des déchets TFA ont été ouvertes. Cette évolution a été soumise à consultation publique, début 2021, et pourrait introduire une nouvelle possibilité de dérogations ciblées permettant, après fusion et décontamination, une valorisation au cas par cas des déchets TFA métalliques. 

 

Stocker les déchets TFA sur les sites de démantèlement

Déconstruction du réacteur de Chooz A

Dans la perspective des opérations de démantèlement des installations nucléaires, le raisonnement et les choix de mode de gestion à définir pour les déchets TFA nécessitent d’accorder une place importante au bilan environnemental global et de ne pas prendre en considération uniquement l’impact radiologique. C’est toutes les étapes de la filière qui doivent être prises en compte : le transport des déchets, l’émission de gaz à effet de serre, la consommation de zones naturelles ou actuellement dédiées à l’agriculture, les impacts sur les eaux, l’air, les sols, la faune et la flore, etc.

Sur ce principe, l’Andra et les producteurs se penchent sur la faisabilité de stockages complémentaires sur ou à proximité des sites en démantèlement pour une partie des déchets TFA : celle qui comporte le moins de radioactivité. Une solution qui devra être à la fois technique mais également partagée et acceptée collectivement.

 

Un deuxième centre de stockage pour les déchets TFA

Au regard des volumes importants de déchets TFA, l’aboutissement du projet d’augmentation de capacité du Cires et le développement de solutions complémentaires ne seront malgré tout pas suffisants. 

L’Andra envisage ainsi la création d’un nouveau centre pour le stockage des déchets TFA. Un site est actuellement à l’étude dans l’Aube. Il pourrait être susceptible de recevoir également d’autres catégories de déchets tels les déchets FA-VL qui feront l’objet d’une prise en charge spécifique.

L’enjeu principal de la prochaine décennie concernant ce nouveau centre sera d’en définir la capacité pour le stockage des déchets TFA.

 

 

Pour aller plus loin